Rêves de Kainé – Discrimination

Source : NieR Replicant ver.1.22474487139...
Traduction : Dayard
Vérification : Bdouine

Préambule
Dans les réminiscences de Kainé, nous avons l'occasion de découvrir des passages de sa vie dans l'Aire. Il s'agit d'un récit ponctué de violence. Les discriminations dont fait l'objet Kainé est lié au caractère atypique de son corps. Cela a été largement censuré en occident.
Voici le chapitre [Rêves de Kainé – Discrimination] en entier, vous verrez deux fragments encadrés : la version officielle et la version issue du japonais, traduite par Dayard.

Bonne lecture à tous !

Le bruit incessant de la pluie résonnait dans tout le village. Amplifiée par les falaises escarpées entourant la région, même la légère bruine grondait comme un violent orage. De minces volutes de fumée s'élevaient des huttes, à l'intérieur desquelles des villageois entassés attendaient la fin de la tempête.

Cependant, une enfant, bravant seule le déluge, s'approchait lentement de la girouette en forme d'aigle installée au milieu du village. Elle atteignit finalement la structure de bois qui, aussi loin que quiconque se souvienne, avait toujours existé, et la fixa intensément du regard. Son visage blanc pâle à la fois délicat et farouche, telle une tasse de porcelaine qui aurait survécu à un naufrage, était presque androgyne.

Si le bec de l'aigle pointe vers l'est, je rentre à la maison. S'il reste tourné vers l'ouest, alors je...

L'enfant cligna des yeux, des gouttes coulant lentement de ses cheveux courts pour aller s'écraser au sol.

Allez... Allez !

Elle sentit une légère brise et entendit la girouette grincer. Celle-ci tourna d'un côté, puis de l'autre, avant de finalement pointer son bec en direction de l'est.

L'est... ? ... Vraiment ?

Avant que la girouette n'ait le temps de reprendre ses rotations, une pierre pointue vint frapper l'enfant à la tête. Celle-ci s'effondra au sol sous la force de l'impact tandis qu'une grêle de cailloux s'abattait autour d'elle. Elle endura l'assaut, un sourire triste se dessinant sur ses lèvres. À travers la pluie, elle entendit plusieurs personnes approcher, puis une voix retentit.

"Eh ooh, Kainééé !"

Dimo, la pire des petites brutes de l'Aire.
Alors que Kainé se relevait tant bien que mal, une dernière pierre ricocha dans la boue et frappa son pied. Le sang dégoulinant de son arcade entaillée lui brouillait la vue, mais elle reconnut tout de même les silhouettes familières de Dimo et de ses sous-fifres. Si le garçon parut un instant décontenancé par l'apparente indifférence de Kainé au sang qui lui coulait sur le visage, il reprit vite son air méprisant.

"Alors, le monstre ? T'aimes ça, la pluie ? T'aimes être trempée ? Ou peut-être que t'as enfin décidé de t'enfuir ?"

Dans un geste qu'elle savait inutile, Kainé se tourna pour partir. En quelques instants, les autres enfants se ruèrent pour l'entourer, la cruauté se lisant dans leurs regards. Kainé avait bien conscience que les parents de ses bourreaux, abrités dans leurs huttes, observaient également la scène. Elle y était habituée. Elle avait vécu cette même scène de nombreuses fois. Si certains villageois se contentaient d'ignorer les actions de leurs enfants, la plupart les encourageaient ouvertement. Dans une société régie par la peur et les superstitions, Kainé était le genre de créature que l'on se devait de haïr, ou mieux encore, de détruire.

"J'ai pas dit que tu pouvais partir, le monstre."

Les paroles de Dimo rongeaient le coeur de Kainé comme un ver une pomme. Il peut pas te faire de mal, se mentit-elle. Reste forte. Tiens bon. Il peut pas te faire de mal. Il peut pas te faire de mal. Il peut pas...

"Oh, regardez ! Le monstre va se mettre à pleurer ! Qu'est-ce qui va pas ? T'es triste parce que tout le monde te déteste et veut se débarrasser de toi ?"

Kainé pria pour qu'un torrent de pluie l'emporte loin de ce monde où elle ne semblait pas avoir sa place. S'il y avait des dieux, ils se fichaient d'elle. Tandis que Dimo se rapprochait toujours plus, les nuages se dispersèrent et la pluie faiblit.

Même la pluie me déteste. Je sers à rien. Je ne suis rien. Si seulement Dimo avait pu m'arracher la tête avec son caillou...

Kainé n'osait pas croiser le regard mauvais de la brute. Elle baissa les yeux et fixa le sol boueux. Dimo approcha son visage si près du sien qu'elle pouvait sentir son haleine fétide. De ses doigts épais, il saisit le menton de Kainé et l'obligea à lever la tête. Elle tenta de se détourner, mais il la serra plus fort et la força à ouvrir une de ses paupières de son pouce.

Fragment -Version officielle

"Allez, vas-y."

"… N-non."

"Tu as dit non ?" Le garçon esquissa un sourire méchant. "Personne ne me dit non. Personne ne me dit non." Il interpella ses acolytes sans même quitter Kainé des yeux : "Allez, les gars ! Donnons au monstre la raclée qu'elle mérite !"

Sa phrase à peine achevée, une pluie de coups s'abattit sur Kainé. Dimo, souriant toujours, s'arrêta pour observer Kainé qui se pelotonnait sur le sol, tâchant d'étouffer la douleur.

"Je te comprends pas, le monstre. Pourquoi t'agis comme si t'étais une fille, hein ? Tout le monde sait ce que t’es vraiment !"

Kainé ignora la question et scruta plutôt la girouette. Celle-ci pointait toujours vers l'est, comme si elle n'avait aucun doute quant au destin qu'elle avait choisi pour la jeune fille.

Rentrer à la maison ? Tu parles d'une blague, pour une orpheline qui n'en a pas.

Kainé ferma les yeux et écouta la pluie, attendant que les attaques reprennent. Alors que le groupe d'enfants se resserrait autour d'elle, elle se concentra sur le bruit de la pluie, jusqu'à ne plus rien ressentir d'autre.

La pluie tomba…

Mais les attaques ne reprirent pas. Ce n'est qu'en entendant des cris de terreur remplacer les rires de ses bourreaux qu'elle osa enfin rouvrir un œil ensanglanté.

Fragment -Version censurée traduite

"Désape-toi !"

"..."

"Regardons ce qu’il y a sous les vêtements du monstre. Si on n'le fait pas on ne pourra jamais vivre sereinement avec toi dans le village."

Avant même que Dimo ait fini de parler, d’innombrable petites mains se tendirent vers Kainé. Ils la saisirent avec une force impensable pour des enfants. Les vêtements dépenaillés de Kainé volèrent rapidement en éclat avec un bruit déchirant. Dimo regardait Kainé se recroqueviller sur elle-même tentant de cacher sa nudité exposée.

"Ha, tu essaies d’agir comme une fille ?"

Kainé ignora la question et scruta plutôt la girouette, le regard vide. Celle-ci pointait toujours vers l’est, comme si elle n’avait aucun doute quant au destin qu’elle avait choisi pour la jeune fille.

Il faut que je rentre... Mais où ? Je n'ai plus de maison. Je n’ai plus ni ma maison ni mes parents. Je les ai perdus. Perdu... À jamais.

"Arrachez tout ! Que nous sachions enfin si cette chose est un homme ou une femme !"

Kainé ferma les yeux. Elle tenta de repousser les cris de Dimo et les acclamations cruelles des enfants de son esprit en se concentrant sur le bruit de la pluie.

La pluie continuait de clapoter...

Cependant, la douleur et la souffrance que Kainé se préparait à affronter ne s’abattit pas sur elle.De faibles murmures se firent entendre à travers la tempête qui soudain se transformèrent en hurlement, Kainé ouvrit les yeux.

Stupéfaite, Kainé aperçut Dimo étendu sur le sol, la tête entre les mains, hurlant de douleur. Elle pouvait apercevoir le sang qui s'échappait entre ses doigts épais et tordus.

Ouah. Il pleure. Dimo pleure !

Privés de leur chef, les autres enfants se jetaient des regards inquiets, comme si tous attendaient que l'un d'entre eux prenne les choses en mains. Quand il devint clair qu'aucun sauveur ne manifesterait, ils commencèrent à s’écarter de Kainé. La jeune fille était cependant le moindre de leurs soucis. Leurs regards étaient fixés sur la vieille femme qui se tenait un peu plus loin. Une fois que celle-ci eut repris son souffle, elle s'exprima d'une voix pleine de rage.

"Ça fait foutrement mal, hein ? Je vous suggère de ficher le camp avant que j'en lance une autre. Et si un seul d'entre vous ose encore s'en prendre à ma Kainé, bande de petits salauds, la correction d'aujourd'hui vous paraîtra bien douce, je peux vous l'assurer !"

La vieille femme s'agenouilla au côté de Dimo et saisit doucement la main qui couvrait sa blessure. Sans même lui laisser le temps de protester, elle écrasa sa paume sur la plaie et la fit tourner dans un sens et dans l'autre.

"Aaaah !", glapit Dimo en se relevant brusquement. "Arrête ça ! Qu'est-ce que tu fais ?"

"Arrête de geindre ! C'est qu'une égratignure, t'en mourras pas."

"Tu m'as lancé une pierre, sale garce ! Une grosse, en plus ! T'aurais pu me tuer !"

La vieille femme haussa les épaules. Le visage du garçon se convulsa de rage à ces paroles. Braquant son regard sur Kainé, il fit un pas en arrière et cracha sur le sol.

"Allez-vous-en ! Quittez ce village ! Personne veut de vous deux, ici !"

Voyant la vieille femme ramasser une autre pierre, Dimo et sa bande détalèrent. La vieille femme les regarda s'enfuir et s'esclaffa, les mains sur les hanches.

"Ha ! Regarde-le courir, le petit dodu ! Il faut croire qu'il était assez en forme pour fuir l'affrontement."

Son sourire s’évanouit lorsqu’elle se retourna vers Kainé. S’agenouillant, elle retira son châle pour le placer sur les épaules de la jeune fille, puis sortit un mouchoir des plis de sa robe et s'attela à essuyer le sang qui commençait déjà à sécher sur le front de l'enfant.

"Oh, Kainé... Pourquoi ne t'es-tu pas défendue ? Tu es pourtant plus forte qu'eux."

Piquée au vif par les mots de sa grand-mère, Kainé se détourna.

"Sois pas gentille avec moi, répondit-elle. Je ne le mérite pas. Plus rien n'a d'importance à présent."

Les larmes qu'elle avait retenues si longtemps tombèrent sur le sol boueux.

"Tout le monde me déteste. Ils croient que je porte malheur, que je suis un monstre... J'aimerais être morte."

Tandis que ses larmes se changeaient en sanglots, Kainé sentit les bras de sa grand-mère l'entourer. La femme, pourtant âgée et plutôt petite, était étonnamment forte, si bien que la jeune fille fut incapable de lui résister.

"Ne dis pas des choses pareilles, ma petite. La rivière bouillonnante qui sépare cette vie de la suivante est impitoyable à l'égard de ceux qui essaient de la traverser. Tu dois te battre jusqu'au bout. C'est bien compris ?"

La vieille femme resserra son étreinte et tenta de réprimer le tremblement de sa voix.

"Tu connais la douleur qui accompagne la perte d'un être cher, Kainé. Tu la connais et tu y as survécu."

Lorsqu'elle comprit ces paroles, Kainé se rendit compte de l'amour qu'elle éprouvait à l'égard de la vieille femme. Celle-ci l'avait immédiatement recueillie après le décès de ses parents, alors qu'elle n'était encore qu'une jeune enfant. Mamie, comme elle l'appelait, était rusée, vulgaire et prompte à s'emporter. Les premières années n'avaient pas été faciles. Toutefois, au fil des ans, Kainé et sa grand-mère étaient devenues plus proches. Ce ne fut qu'à cet instant que Kainé, assise dans la boue et le visage barbouillé de larmes et de sang, comprit à quel point elle l'aimait. C'était une femme qui avait eu la vie dure, qui avait affronté la mort et avait survécu. Si quelqu'un pouvait comprendre la douleur et la solitude de Kainé, c'était elle.

"…Est-ce que je te dégoûte, mamie ?"

"Bien sûr que non ! Ne va pas t'imaginer ce genre de conneries !"

Kainé se blottit en tremblant dans le châle miteux de sa grand-mère.

"Mais mon corps... Il... il est pas normal. Si j'étais normale, papa et maman seraient pas..."

"Ça suffit !", l'interrompit-elle. "Je ne veux pas entendre un mot de plus. Tu es ma petite-fille, et je t'aime. Si les gens ne peuvent pas l'accepter, qu'ils crèvent en enfer."

La vieille femme déposa alors une couronne de fleurs séchées sur la tête de Kainé. Les tiges des fleurs avaient été entrelacées avec une dextérité remarquable, sans les rompre et sans perdre de pétales. Le résultat était si beau que Kainé faillit se remettre à pleurer.

"Ouah, des larmes lunaires.. ?! Mamie, tu as fait ça pour moi ?"

Les larmes lunaires étaient des fleurs légendaires. Rares étaient ceux qui pouvaient prétendre en avoir aperçu une au cours de leur vie. D'une manière ou d'une autre, sa grand-mère en avait semble-t-il rassemblé plus d'une douzaine. Kainé leva la main pour toucher la couronne, comme pour s'assurer qu'elle ne rêvait pas.

"Mais où… où les as-tu trouvées ?"

"Oh, quelque part, pendant mes emplettes."

La vieille femme avait détourné son regard, et Kainé comprit que cela avait dû être bien plus difficile qu'elle ne voulait l'admettre. Elle ne pouvait imaginer les efforts nécessaires à la création d'un ornement si délicat, sans parler d'arriver à dénicher les fleurs elles-mêmes. Elle ajusta la couronne sur sa tête, savourant la sensation des pétales entre ses doigts.

"Elle n'est pas exactement comme je l'avais espéré", dit sa grand-mère en l'examinant de ses yeux plissés." Mes vieilles mains ne sont plus à la hauteur d'un travail aussi complexe. Mais tu es tellement jolie qu'on ne le remarquera pas."

Kainé rougit en se retournant.

"Tu… tu me trouves jolie ?"

"Évidemment ! Quelle question !"

"Mer-merci, mamie."

Sa grand-mère sourit.

"Tout ira bien, déclara-t-elle. Tant qu'on sera ensemble, tout ira bien."

Kainé prit la vieille femme par la main, et elles se relevèrent avec peine. Sur le chemin du retour, elle s'agrippa de toutes ses forces à sa grand-mère, comme si elle craignait qu'un coup de vent ne l'emporte à jamais. La pluie avait cessé. Kainé se tenait au pied de la girouette, qui tournait paresseusement, sans plus se soucier de la direction qu'elle indiquerait quand elle s'immobiliserait.

Je n'ai plus besoin de m'enfuir. J'ai une maison, désormais. Mamie m'aime. Ça me suffit.

Le regard de Kainé quitta la girouette pour contempler le ciel nuageux. Un arc-en-ciel disparaissait lentement à l'horizon. Lorsqu'elle se tourna pour regagner sa maison, la lumière se dispersa et s'évanouit dans l'air humide, comme emportée par la brise.
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