2B compare ça à l'escalade d'une pente rocheuse. Sa jambe gauche semble plus lourde que du plomb. Quand enfin elle parvient à faire un pas, elle est haletante et les articulations de sa jambe droite commencent à grincer. À deux doigts de la chute, elle s'extirpe du module de vol, sort du hangar, monte dans l'ascenseur et rejoint finalement le couloir. Elle reste sans voix considérant le temps qu'il lui faudra pour parcourir les quelques mètres restants. Le département du développement est juste plus loin dans ce couloir. Focalisée sur son objectif et les difficultés pour l'atteindre, 2B n'est pas loin de perdre connaissance.
La Base orbitale est le quartier général des opérations du YoRHa. Ce n'est pas une grande infrastructure, bien qu'elle contienne toutes les installations nécessaires pour le combat, le transport ainsi que des cabines pour ses occupants. Malgré cela, 2B a l'impression que la distance entre elle et sa destination semble infini. Le sol est une surface plane, il n'y a donc aucune marche à franchir. C'est en principe un lieu où il est possible de se déplacer les yeux fermés.
Cela montre à quel point ses fonctions motrices sont endommagées. Elle tente d'accélérer un peu son allure, consciente de la nécessité de se rendre au département du développement pour sa maintenance.
Commandant vient à sa rencontre. 2B tente de mettre son bras gauche sur sa poitrine pour exécuter le salut mais elle n'y parvient pas. Elle grimace, réalisant que ses défaillances ne concernent pas uniquement ses jambes, contrairement à ce qu'elle pensait.
Face à cette piètre tentative de salut, Commandant avait constaté l'étendue des dommages de 2B. Elle lui signale de baisser son bras.
Commandant s'écarte sur le côté, hors du champ de vision de 2B. Ce couloir, qui connecte le hangar et le département du développement, est pourvu de nombreuses baies vitrées, donnant un aperçu de l'extérieur: la noirceur de l'espace, parsemée d'étoiles et bien sûr, le premier berceau de l'humanité: la Terre. Même à cet instant sur cette magnifique planète bleue, les androïdes YoRHa mènent la lutte contre les formes de vie mécaniques. Peu importe la quantité de machines détruites, elles réapparaissent sans relâche, telles des insectes mécaniques.
Malgré cette considérable différence en nombre, les androïdes parviennent à rivaliser avec leurs ennemis à l'aide de technologies avancées et de stratégies. Ils ont encore à surpasser ce désavantage numérique, c'est pourquoi le combat s'éternise. 2B croyait qu'avec davantage d'efforts, peut-être que l'affrontement prendrait fin. Elle avait depuis réalisé que cette idée était vaine.
Commandant sourit. Il arrive que le doux sourire de Commandant déconcerte 2B. Elle a habituellement tendance à se montrer froide, sa façon de s'exprimer est inflexible et son jugement est aussi tranchant qu'une lame. C'est une attitude que l'on attend d'un leader. Il y a probablement nombre de conflits et d'angoisse caché derrière ce sourire.
2B ne formule pas le reste de sa pensée. C'est son problème et non celui de Commandant.
Le sourire de Commandant s'efface avant que des mots mesurés ne s'échappent de ses lèvres.
Ces mots font écho dans l'esprit de 2B. Il y a toujours eu des moments difficiles à vivre pour elle, parfois même la douleur était telle qu'elle ne pouvait pas le supporter. Toutefois, 2B n'a jamais dénigré son devoir.
C'était comme si Commandant avait pu lire dans son esprit. À chaque mission terminée, 2B ressent un poids qui ne fait que croître, lui appartenant de porter seule son devoir. Non, c'est encore quelque chose auquel elle croit. Malgré tout, les mots du Commandant résonnent dans son cœur.
Cette fois, 2B parvient à saluer convenablement sa supérieure.
2B combat sous ses ordres. C'est ce qu'elle a toujours fait et ce qu'elle continuera à faire, jusqu'au jour où la Terre retournera aux mains de leur véritable propriétaire, l'humanité. Alors que les pas de Commandant s'effacent derrière elle, 2B reprend sa marche en direction du département de développement.
Commandant est prise d'assaut dès lors qu'elle entre dans le poste de commandement. Un groupe d'opératrices se précipite sur elle et lui bloque la voie.
Il semble que les opératrices ont la conviction que l'androïde ayant la fonction de 'Commandant' signifie que sa puissance de calcul doit être supérieur aux autres.
Elle pense avoir terminé mais en vérité, ce n'est pas le cas. Les opératrices sont encore face à elle, désireuses d'ajouter quelque chose.
Les opératrices répondent à l'unisson.
Ensemble, elles lui tendent de petits paquets dorés et argentés.
Tous ces paquets ont différentes tailles et formes mais ils scintillent. En effet, il parait que les humains offraient des cadeaux comme cela il y a si longtemps. Elle ouvre un des cadeaux pour y découvrir le contenu: un ruban brun foncé. Elle se demande ce qu'elle va en faire, mais pour le moment, il vaut mieux les remercier que de s'en inquiéter.
Nombreuses des traditions de l'ancien monde lui échappent. Bien que les humains sont les créateurs des androïdes, c'est ridicule d'essayer de les comprendre et il n'est pas recommandé de les imiter. Elle ne peut officiellement pas autoriser la reproduction de cette tradition mais... Elle ne peut pas trancher sur ce sujet maintenant. Les opératrices vivent des épreuves bien différentes des unités de combat.
L'opératrice qui vient de poser cette question est 6O, celle en charge des communications avec 2B.
À multiples reprises, le Commandant a reçu des rapports du département du développement sur ce nouveau modèle. Mener à bien ce genre d'expérimentation implique des échanges entre les opératrices et d'autres unités. 6O est donc en charge de compiler ces données.
À ces mots, l'image récente de 2B revient à l'esprit de Commandant.
Les mots qu'elle a répétés une multitude de fois auparavant résonnent dans son cœur: la responsabilité repose sur mes épaules.
6O salue sa supérieure avant de quitter la pièce. Commandant jette un regard par-dessus son épaule.
Cela faisait exactement 330 secondes.
L'opératrice 6O se précipite dans le hangar. Elle croit qu'elle aura des problèmes si elle la rate. En vérité, si ça doit arriver, elle pourra toujours établir une transmission donc ça ne posera pas de problème. Elle passe la porte qu'elle vient d'ouvrir— il semble que plus elle est pressée, plus les portes s'ouvrent lentement. Des vifs mouvements sont nécessaires pour une rapide installation, elle estime qu'elle soit s'améliorer à ce sujet.
À l'arrière d'un module de vol montée sur une catapulte, le visage de 21O apparaît. Il semble qu'elle est encore en plein milieu de son inspection. C'est le bon moment, 6O va droit au but.
La réaction de 21O est étonnamment indifférente. 6O se demande si elle n'a pas simplement oublié de quoi il s'agit.
21O fronce les sourcils avec une expression proche de la stupéfaction.
Maintenant, c'est au tour de 6O d'arborer une étrange expression sur son visage. Cette dernière ne parvient pas déterminer la raison derrière l'attitude sidérée de 21O.
L'attitude de 21O semble suggérer que sa venue avait été inutile, néanmoins, 6O tente d'objecter.
Le sourcil levé, 21O ne semble pas convaincue.
21O finit par hocher de la tête en réponse à la 6O.
Le ton de 21O semble nonchalant mais en réalité, il y avait de la douceur. Elle est toujours ainsi quand elle évoque l'unité dont à la charge: 9S. 6O acquiesce, suggérant qu'elle comprend ce qu'elle veut dire. Même si elles coordonnent différentes unités, les opératrices partagent les mêmes sentiments.
Les unités type S se sentent coupables en raison de leur curiosité débordante, alors que le manque de considération pour leur propre intégrité physique suscite la culpabilité chez les unités de type B. C'est sans doute pour cela que ces unités sont capables de se battre sur le front sans la moindre hésitation.
Voici un échange d'information entre opératrices. Même lors de conversations insignifiantes comme celle-ci, il peut y avoir des informations pertinentes. L'accumulation de ces données conduit à des résultats, par exemple, finaliser d'importantes décisions ou aider les unités à anticiper le danger. Après avoir vérifié les notes sur les divers changements du nouveau modèle, elles entament la conversation. Bien entendu, 21O continue de travailler en même temps.
L'inspection achevée, 21O change le positionnement du module de vol afin de laisser de la place pour 6O. Puisqu'un seul module de vol peut être attaché à la catapulte, elles doivent procéder à la chaîne.
6O place le module de vol à l'emplacement indiqué et commence son inspection.
Localiser 9S était une formalité pour l'opératrice 21O. Autant sur Terre, il peut y avoir des problèmes avec la résolution du satellite ou avec les réseaux de communication rendant sa position incertaine, autant dans la Base, aucune erreur n'est possible.
La salle de gestion des serveurs: une salle dans la Base pourvue d'un grand terminal. 9S s'y rend pour analyser les protections des ennemis et découvrir des nouvelles procédures de piratage. Il aime ce genre de travail minutieux. Quand il n'est pas en mission sur Terre, il est garanti qu'on peut le trouver dans cette salle. Sa concentration est telle qu'il n'entend même pas le bruit de la porte qui s'ouvre.
Elle entre dans la salle sans gagner l'attention de 9S, toujours focalisé sur le terminal. Il est dit que souvent les humains peuvent être absorbés dans leurs jeux, faisant totalement abstraction du temps. C'est ce qui arrive à 9S. En fait, avant de se rendre au hangar, 21O s'était déjà rendue ici. Vu qu'il semblait absorbé par son travail, elle ne l'avait pas dérangé. Trois heures ont passé depuis cette visite et il est toujours sur le terminal. Elle compte lui dire d'arrêter ce qu'il fait et de prendre une pause.
Soudainement, les épaules de 9S tressaillent. Il a un sursaut, comme si quelqu'un venait de le surprendre par derrière en lui hurlant dessus.
Il se décontracte et jette en regard en direction de 21O.
Elle se rend compte alors qu'elle vient de détourner la conversation de la même manière que 6O l'avait fait plus tôt. C'est une évidence que contrairement à 6O, 9S a besoin de faire plus d'exercice.
9S se déconnecte du terminal à contrecœur.
Son attitude semble suggérer qu'il se désintéresse de la mission mais l'instant d'après, il tourne sa tête et regarde 21O.
21O sait qu'il n'est pas sérieux en posant cette question. Il est probable qu'il se sente seul mais emmener une opératrice lors d'une mission est totalement invraisemblable.
9S boude. Elle sent qu'il est un peu découragé. Elle se demande si elle ne devrait pas lui donner une 'friandise' pour lui remonter le moral.
Elle peut entendre dans sa voix qu'il est plus motivé. Comme prévu, l'utilisation du mot 'nouveau' a un formidable effet sur lui.
Brusquement, 9S arbore une étrange expression, comme s'il était déconcerté par quelque chose.
Maintenant qu'elle y pense, 9S semble quelque peu étrange. Cela pouvait venir de sa surprise quand elle l'a interrompu, de plus, le regard de 9S ne lui était pas vraiment adressé. Quelque chose d'autre avait son attention.
9S se tourne dans une direction avec la sensation que quelqu'un l'observe. Il secoue sa tête peu après.
Une fois que le topo sur le nouveau modèle sera terminé, elle lui rappellera de se reposer. Si sa fatigue s'accumule, cela pourrait compromettre la mission. 9S et 21O quitte la salle du serveur mais avant que la porte ne se referme derrière eux, elle adresse un dernier regard dans la pièce. Bien entendu, cette salle est vide.
Deux mots apparaissent sur le grand terminal, en dépit de l'absence d'unité sur place.